Corsage de Marie Kreutzer en 2022 n’est pas un film biographique historique sur Elisabeth, reine d’Autriche et il ne respecte pas strictement les faits historiques de sa vie. La reine Elizabeth, surnommée Sisi, est connue comme l’une des icônes de beauté au monde et la célèbre trilogie Sisi d’Ernst Marischka, avec Romy Schneider dans le rôle de la reine, en fait un modéle de beauté. Mais ce qui a intéressant Kreutzer dans la vie de la reine Elizabeth et l’a poussé à en faire un film, c’est l’expérience personnelle d’une femme en position d’icône de beauté et l’analyser les pressions que ces stéréotypes de beauté exercent sur les femmes. En fait, cette fois, au lieu de considérer la reine du point de vue d’un observateur extérieur et de louer sa beauté, Kreutzer montre au point de vue de la reine comment sa beauté est devenue une prison pour elle. Kreutzer commence par examiner les défis individuels auxquels la reine est confrontée en tant que symbole de beauté et ensuit, interrogele statut des femmes en tant qu’objets d’ornement et finalememt, atteint met en lumière le cercle vicieux dans lequel les femmes sont enfermées en raison de leur beauté et ainsi montre comment l’identité, la position sociale et le rôle des femmes sont intimement liés à la question de la beauté.
Le film commence par la scène des quarantiéme anniversaire de la reine, lorsque les personnes présentes dans le palais chantent «Vive la reine, qu’elle soit toujours belle» et dès la première rencontre avec la reine, comprend immédiatement que sa vie est indissociable de sa beauté. Quarante ans est un âge qui, selon les stéréotypes courants, annonce le déclin de la jeunesse des femmes et conduit à la crise de la quarantaine et à la ménopause et qui entraînent la peur de vieillir et de disparaitre et La reine évoque également dans son monologue. Susan Sontag souligne à juste titre que le vieillissement est plus un jugement social qu’un événement biologique. Selon elle, «en imposant aux femmes un cadre étroit et rigide, la société dicte leur façon de ressentir la vieillesse et la jeunesse.» La reine est également encore jeune, en bonne santé et passionnée, et sa mobilité et son dynamisme se manifestent lorsqu’elle monte à cheval ou à l’escrime mais elle est constamment exposée au jugement des autres qu’elle n’est plus belle et jeune aux yeux des autres. Au tout début du film, l’un des hommes politiques mentionne dans le journal journal l’augmentation de poids de la reine et il dit: «Les journaux sont la peste». Mais le véritable peste est la mentalité de la société sur des femmes, qui ne connaît la valeur des femmes que dans leur beauté. De sorte que lorsque la reine souffle d’un seul souffle ses bougies d’anniversaire, l’une des femmes aristocratiques la compare avec admiration à une femme de vingt ans.
Dans une situation où les femmes doivent toujours être belles et jeunes, les soins du corps ne sont plus un choix, mais une obligation et elles s’habituent à souffrir pour préserver leur beauté. Étant donné que le corps des femmes aussi subit des changements au fil du temps, comme tous les êtres vivants, de nombreuses femmes, soumises aux pressions sociales, se sentent obligées d’adopter des pratiques de beauté souvent intenses. Régimes stricts, exercices physiques excessifs, vêtements inconfortables, utilisation intensive de produits cosmétiques et recours à la chirurgie esthétique: autant de moyens mis en œuvre pour tenter de se conformer à des idéaux de beauté souven irréalistes. Comme le dit Sontag: «La passion pour la beauté n’est pas une erreur, mais la contrainte et la lutte pour l’être sont une erreur. L’acceptation d’un idéal de beauté souvent inaccessible conduit les femmes à se sentir inférieures à ce qu’elles sont ou à ce qu’elles deviennent naturellement. Par conséquent, l’idéal de beauté se manifeste souvent sous la forme d’une répression.» Tout au long de sa vie, la reine s’abstient de manger des aliments agréables et se contente de quelques fines tranches d’orange, s’allonge dans la baignoire pendant de longues minutes et retiens les souffle, porte des corsets serrés et douloureux pour maigrir de jour en jour et s’inquiète toujours de son poids et de son tour de taille.
En fait, il ne s’agit pas d’une question de beauté. Il est important que les femmes soient belles selon les stéréotypes et le problème avec ces stéréotypes de beauté, c’est qu’ils détruisent les différences individuelles et rendent tout le monde pareil et ne permet à personne d’être considéré comme beau tel qu’il est. Avec une telle approche, les femmes sont engagées dans une course épuisante pour devenir plus belles, obligées de rivaliser non seulement entre elles, mais aussi avec elles-mêmes. Les femmes se regardent et se demandent si mon corps devient plus mince, ne serai-je pas plus belle? si mes cheveux deviennent plus blonds, ne serai-je pas plus attirant? Si ma taille est plus fine et mes hanches et mes seins plus proéminents, ne serai-je pas plus érotique? Et ces questions peuvent continuer encore et le besoin d’être plus belle ne finit jamais. Dans son analyse de l’idéal de beauté, Sontag explique que les femmes divisent leur corps en différentes parties et évaluent chaque partie séparément et Peu importe à quel point un organe correspond à un idéal, un autre peut présenter des défauts, provoquant ainsi anxiété et désespoir. C’est pourquoi elle affrime: «pour une femme, soin de beauté pour une femme n’est pas seulement un plaisir, mais aussi un devoir.»
D’un point de vue politique, la reine ne joue pas un rôle majeur dans la gestion du pays et se limite souvent à un rôle de représentation, incarnant la beauté et la gloire du royaume. Elle n’est pas une conseillère de l’empereur ni l’une de ses plus proches collaboratrices. Elle est plutôt perçue comme une figure emblématique, une sorte de première dame, qui accompagne l’empereur lors des cérémonies officielles et des événements diplomatiques. Par conséquent, Elle est ainsi tenue de soigner son apparence, arborant des tenues raffinées et des accessoires élégants et doit faire preuve de grâce et de courtoisie en toutes circonstances. Tout au long de sa vie, l’attention et l’admiration des autres étaient dues à sa beauté. Pour cette raison, maintenant qu’elle est au bord du déclin de sa beauté et de sa jeunesse, elle se soucie extrêmement de son corps. Parce que le seul instrument de son pouvoir est sa beauté, et qu’elle est abandonnée lorsqu’elle est perdue. Suntag explique que les efforts d’une femme pour réussir en politique, en droit, en médecine, en entreprise ou dans toute autre position sociale sont influencés par sa beauté et son attrait féminins. En fait, dans le système patriarcal, le devoir le plus important d’une femme est d’être belle.
La reine sait que personne ne l’aime et ne se soucie pas de ce qu’elle dit ou fait. Seuls ses gestes corporels attirent tout le monde et les gens fascinés et hypnotisés sont ses idoles. Le même «objet sublime» qui évoque l’image idéale d’une belle femme. c’est pourquio, lorsque sa place, sa servante porte ses vêtements, met son voile sur son visage et prend par à la cérémonie, personne ne remarque le changement de reine et de servante et même la fille de la reine vénère davantage cette fausse image. parce qu’elle n’a les comportements espiègles et incohérents de la reine. Dans la scène où la reine apparaît devant la caméra du jeune inventeur, elle demande si on entend sa voix et l’inventeur répond par la négative. L’enregistrement de l’image silencieuse de la reine montre bien sa situation: tout au long de sa vie, son image l’a supplantantée.
Dans le film, la reine ressemble emprisonnee dans ces vêtements ennuyeux, évoquant une captive privée de liberté. Pour cette raison, la reine se rend constamment dans les asiles psychiatriques et visite aux femmes malades. La reine regarde la femme prisonnière dans son lit et se voit comme elle, captive des carcans de la beauté. Son insistance obsessionnelle pour que le corset soit resserré autour de sa taille montre une prisonnière qui accueille favorablement de tortures plus sévères. «Corsage», qui est aussi le titre du film, est un corset serré et rigide que les femmes portent autour de la taille et de la poitrine pour que leur corps paraisse de plus en plus mince. Le film montre intelligemment que ces vêtements douloureux ne servent pas seulement à imposer des stéréotypes de beauté aux femmes, mais servent également à limiter leurs pensées, leurs sentiments, leurs choix, leur volonté et leurs actions.
En fait, tant que la reine se soumet à cette couverture imposée, elle ne peut pas vivre comme elle l’entend. Son sentiment de libération survient au moment où elle enlève ses vêtements et coupe ses cheveux longs. Lorsqu’elle fume une cigarette a la fête au palais et en quittant la fete, elle fait un bras d’honneur pour montrer sa dérision à tout le monde, c’est la fin du respect de l’étiquette de beauté. Malgré sa rébellion contre les canons de beauté, la libération de la reine ne vient pas de l’effondrement du patriarcat. Quand elle obtient sa liberté, elle transforme sa servante en une réplique d’elle-même pour la faire jouer son rôle. et désormais, une autre femmeà la place de la reine est cindaminée à ne plus manger, à porter des vêtements douloureux et à s’inscrire dans le même stéréotype de belle femme. Tout comme La reine désigne une jeune femme comme maîtresse de l’empereur à sa place. Ainsi à la fin du film, la prison de la beauté ne s’arrête pas pour les femmes, au contraire, seule la femme emprisonnée change. Ce tatouage d’ancre, gravé sur l’épaule de la servante pour que son corps ressemble exactement à celui de la reine, représente le stigmate de l’esclavage sur le corps féminin. Et maintenant, une autre femme doit souffrir pour que la reine puisse jouir de sa liberté.
Cet événement important du film peut être mieux compris en se référant à la phrase brillante de Sontag. Sontag parle de la nature de classe du système de beauté, qui fonctionne avec des codes de genre et explique comment le sentiment de supériorité et d’infériorité, transmis aux femmes à travers la hiérarchisation de la beauté, les pousse à s’engager dans une course épuisante vers l’aristocratie de la beauté. Elle affirme: «Au sommet de la hiérarchie, ce sont les stars qui ont le privilège d’incarner de nouvelles idées audacieuses de beauté. Après leur mise en œuvre, une multitude de personnes les suit.» ainsi La reine ne détruit pas les stéréotypes de la beauté en échappant à son rôle imposé, au contraire, elle l’impose à une femme en dessous de lui pour qu’elle perdure ces stéréotypes. À la fin du film, même si la reine enlève ses vêtements et sa perruque et saute dans la mer, et elle passe de la capative dans la baignoire à la liberté dans la mer, il n’y a aucun sentiment de libération. Parce que le corps d’une autre femme est capturé dans des vêtements et des perruque à sa place. C’est avec une fin si brillante que le film souligne la poursuite du cercle vicieux des «femmes captives de beauté» et montre que dans un monde patriarcal, aucune femme ne peut être libre.
Source: Sontag. Susan, On women. Edition en anglais. 2023.